Le trek du W… ou presque!

Après une nuit assez courte, nous retrouvons au petit matin notre bande d’amis venus nous rejoindre à Puerto Natales. Ils ont pris leurs vacances au Chili et nous avions convenu de nous retrouver pour faire ensemble le trek du W, l’un des plus fameux (et des plus beaux) circuits de randonnée du parc Torres del Paine. Il s’agit de l’un des seuls parcs du Chili permettant le trekking sur plusieurs jours en passant d’un camping à un autre ; autrement dit, une belle randonnée en toute liberté ! Ça c’est la théorie… En pratique, pour étaler l’affluence touristique sur toute la saison, les autorités chiliennes ont rendu obligatoires les réservations de logement depuis octobre 2016, mais sans réelle communication… D’autre part, les campings de la Conaf, gratuits, disparaissent au fur et à mesure ou sont cédés à des entreprises privées. Nous apprendrons par ailleurs plus tard que leur réservation n’est pas possible depuis l’étranger, ce qui rend très compliquée l’organisation du trek en camping gratuit pour qui n’est pas Chilien. Heureusement, nos amis se sont renseignés avant de venir, et ont pu sauver les meubles en réservant deux nuits en camping payant. Cependant, à 8, difficile d’obtenir toutes les réservations nécessaires pour le circuit du W, et il nous manque encore deux nuits pour effectuer le trek en toute sérénité, lorsque nous nous retrouvons tous le matin du 23 février. Après les effusions des retrouvailles, ceux-ci nous expliquent alors le programme modifié permettant de profiter du parc en optimisant le nombre de nuitées sur place :

  • Jour 1 : entrée dans le parc, puis petite balade autour du lac Nordenskjöld. Nous pouvons passer la nuit au camping Pehoé (pas besoin de réserver). Environ 12km
  • Jour 2 : traversée du lac Pehoé en catamaran pour atteindre le point de départ Ouest du trek : le camp Paine Grande, où nous devons laisser les sacs. Randonnée vers le mirador Grey (première branche du W), puis redescente et reprise des sacs pour rejoindre le camp Italiano. Environ 30km
  • Jour 3 : randonnée sans les sacs jusqu’au mirador Britanico, puis redescente et reprise des sacs pour rejoindre le camp Los Cuernos. Environ 22km
  • Jour 4 : randonnée jusqu’au camp Las Torres. Environ 11km
  • Jour 5 : montée au point de vue des Torres (les fameuses roches granitiques qui font la célébrité du parc), puis retour à l’entrée Est du parc, où nous prenons le bus vers Puerto Natales. Environ 19km

Le seul point qui pourrait être problématique est le deuxième jour : n’ayant aucune réservation pour le camp Italiano, nous pourrions avoir des questions à l’entrée du parc. C’est pourquoi nos amis, sur les conseils du gérant de leur guest house, ont dû faire un faux à partir des réservations existantes: en cas de questions, nous aurons une fausse preuve que nous faisons la 2ème nuit à Los Cuernos, ce qui nous permettra de continuer notre chemin. Le camp Italiano étant gratuit, nous planifions d’arriver à la nuit tombée et nous comptons sur la clémence du Ranger de la Conaf pour nous autoriser à y passer la nuit, sachant qu’il s’agit uniquement de poser la tente dans un endroit autorisé (pas d’installations sanitaires) et que nous ne sommes pas censés randonner après le coucher du soleil.

Il est un peu plus de 7h lorsque nous prenons tous ensemble la direction de la gare routière, sous un ciel gris et un crachin désagréable. Le trajet de 2h jusqu’à l’entrée du parc passe en un éclair tant les discussions vont bon train dans le bus : c’est qu’il y a plusieurs mois de nouvelles à rattraper ! A l’arrivée, tous les bus touristiques débarquant à peu près en même temps, une file d’attente s’est déjà formée devant le bâtiment de la Conaf. Nous devons remplir chacun un document complet, le remettre aux gardes, payer le droit d’entrée (exorbitant), avant de rejoindre une petite salle où sont dispensées les consignes de sécurité. Il nous faudra presque une heure pour accomplir ce parcours (où finalement personne ne vérifiera si nous avons des réservations), avant de remonter dans le bus, qui nous achemine alors à Pudeto, point de départ du catamaran. De là, nous débutons la balade vers un point de vue sur le lac Nordenskjöld, où nous faisons la pause déjeuner, alors qu’en face de nous se dressent les reliefs du Torres del Paine : magnifique ! Le ciel nous accorde quelques éclaircies, et le jeu des nuages avec le soleil nous offre de belles lumières sur les eaux du Nordenskjöld et du Pehoé, aux teintes turquoise si particulières des lacs de glacier. Le parc mérite bien sa renommée, les paysages sont réellement splendides et nous en prenons plein les yeux. Nous suivons le programme prévu et parvenons au camping Pehoé en fin de journée. Mauvaise surprise : les prix ont considérablement augmenté et planter sa tente revient presque aussi cher qu’un lit en dortoir dans une auberge de jeunesse… Mais nous nous consolons avec la vue magnifique qui nous est offerte, aussi bien au coucher du soleil, que le lendemain matin, à l’aube.

Nous levons le camp très tôt le vendredi matin, car nous devons être à Pudeto pour le premier départ de catamaran à 9h. Le ciel, complètement dégagé, nous promet une belle journée, malgré l’air frais du matin. Nous effectuons d’un bon pas les 7km qui séparent le camping du quai, profitant du cadre magnifique qui évolue à mesure que le soleil se lève, puis nous embarquons avec un grand nombre de touristes venus en véhicule privé. La traversée en ferry est assez rapide (30min), et nous débarquons au camp Paine Grande frais et prêts pour le trek qui nous attend. Là, nous déchantons devant le prix demandé pour garder nos sacs, avant de trouver une solution quelques mètres plus loin, à la cabane des Rangers. Après avoir vérifié nos (fausses) réservations, ceux-ci acceptent de garder nos sacs pendant que nous montons au mirador Grey. Nous prenons donc le chemin qui dessine la première branche du « W », allégés et motivés, sous un ciel ensoleillé. Le dénivelé n’est pas énorme, mais la pente constante et les kilomètres qui défilent nous font peu à peu prendre conscience que nous ne pourrons pas faire l’aller-retour jusqu’au camp Grey avant 16h. En effet, les sentiers fermant vers 17h, nous craignons que les gardes du parc ne nous laissent plus prendre la direction du camping suivant si nous passons trop tard au checkpoint. Le temps de nous décider à nous arrêter à un point de vue donnant sur le glacier Grey pour la pause déjeuner, le groupe s’est disloqué (chacun son rythme !) et il faudra courir chercher les premiers pour se retrouver au complet… ou presque ! Franck ayant en effet décidé d’aller jusqu’au mirador, il nous rejoindra plus tard dans la journée.

Lorsque nous redescendons au niveau de la cabane des Rangers, nous constatons avec déception qu’ils n’ont pas « gardé » les sacs et qu’une de nos gourdes filtrantes a été dérobée. De plus, le garde d’après-midi demande à vérifier plusieurs fois la réservation et nous nous dépêchons de filer avant que la situation ne se complique. Nous attendons d’être hors de portée de jumelles pour faire la première d’une longue série de pauses : il est 16h et nous avons 5h avant le coucher de soleil pour parcourir les 7km qui nous séparent du camp Italiano: c’est long! Le temps se couvre et le vent se lève, tandis que la nuit tombe peu à peu… C’est fatigués et refroidis que nous arrivons, de nuit, au camp de la Conaf. Là, le garde ne semble pas croire une minute à nos histoires (« nous avons une réservation pour le camp suivant, mais il fait nuit et nous sommes fatigués, blablabla… »), et nous demande de continuer notre chemin, sans aucun souci pour notre sécurité. Devant notre insistance, il explique que le camping est complet et qu’il attend des groupes. Abasourdis, nous négocions tout de même le droit de manger avant de reprendre notre chemin – il est 21h après tout, et nous avons réellement 30km dans les jambes ! Nous prenons notre repas sous la pluie, épuisés par cette longue journée. Tous les Chiliens n’étant pas aussi antipathiques que le Ranger, certains nous laissent gentiment leur place pour ne pas manger par terre. Vers 22h, alors que Claire et Franck tentent de retourner négocier un bout de terrain pour nos tentes, un garde du parc leur ferme la porte au nez ! Nous décidons donc d’interpréter librement l’inscription au dos de la porte « after 20h, emergencies only »* et de considérer que planter une tente dans un emplacement gratuit est naturel et ne constitue pas une urgence. Nous trouvons une multitude d’emplacements libres, les prétendus groupes n’étant bien entendu jamais arrivés, et nous passons une nuit relativement sereine, à l’abri de la pluie et du vent, qui semble souffler fort, au craquement des arbres qui nous entourent.

Le lendemain matin, une fois encore, nous nous levons à l’aube. Cette fois, l’objectif est de lever le camp avant d’être repérés par le garde de la Conaf. Le vent s’est calmé, mais il tombe une fine pluie froide et désagréable qui nous assure que le Ranger ne sortira pas de sa cabane de sitôt. En repliant la tente, nous constatons que nous avons eu de la visite pendant la nuit: un petit trou dans la moustiquaire et des morceaux de papier grignotés nous mettent sur la voie d’un rongeur, très probablement attiré par le fort parfum des lingettes que nous utilisons quand il n’y a pas de douche. Mais pas le temps de réparer, nous nous dépêchons de ranger les affaires et rejoignons le groupe pour prendre le petit-déjeuner sous le seul abri du camping. Premiers levés, premiers servis, nous occupons tout l’espace à 8 et traînons un peu pour finir de nous réveiller. Il faut dire que nos amis, bien organisés et habitués au camping, ont fait de belles provisions et que le petit-déjeuner est copieux par rapport à nos derniers repas à Chiloé! Malheureusement, avant que nous ayons terminé de ranger les réchauds, le garde se décide à sortir de son antre et semble mal luné. Nous accusant d’avoir campé sans permission, il nous interdit de monter vers le mirador Britanico. Impossible de lui expliquer que nous avons tenté de revenir vers lui la veille au soir, il est buté et menace même d’appeler la police si nous ne partons pas immédiatement. Probablement attendait-il du chocolat (comme le garde censé garder nos sacs au Paine Grande la veille)? Dégoûtés et sonnés par cette situation surréaliste (nous n’avons pas le droit de dormir dans les emplacements libres d’un camping gratuit?), nous n’avons cependant pas le choix et prenons le chemin du camp Los Cuernos, situé à 8km à peine, et où nous avons cette fois une vraie réservation.

La pluie ne cesse de tomber pendant la première heure de marche, et le chemin est extrêmement boueux. De belles flaques d’eau s’étendent au milieu du sentier, nous obligeant à jouer les équilibristes sur des rondins de bois ou sur le bord non immergé du chemin: pas facile avec les gros sacs à dos! Une éclaircie vient à point nommé lorsque nous atteignons le camp Francès, et son accès au lac, au bord duquel nous nous octroyons une pause. Tout en captant les timides rayons du soleil pour nous sécher, nous nous consolons en observant les gros nuages de pluie qui obstruent la vue sur la branche centrale du « W »: ceux qui montent aujourd’hui au Britanico doivent être trempés… Nous reprenons le chemin tranquillement – puisque nous avons le temps – pour atteindre le camp Los Cuernos en milieu de journée. Le ciel est plus dégagé sur cette partie du circuit, mais le vent souffle en rafales. Claire et Jérémy, partis en repérage, reviennent avec de bonnes nouvelles: nous avons payé cher la nuit, mais c’est en pension complète! De plus, nous pouvons profiter d’une cuisine commune pour préparer notre déjeuner à l’abri et au chaud: de quoi nous remonter le moral! Après une longue pause (et quelques frayeurs lorsque les bourrasques manquent d’arracher le toit de la cuisine commune!), nous nous décidons à monter les tentes, profitant d’une belle éclaircie.

Les campings payants proposent des emplacements sur plateforme pour installer les tentes, ce qui n’est pas très pratique pour les attacher. Avec le facteur vent en plus, cela devient presque impossible! Oriane et Claire tournent pendant une bonne demi-heure pour trouver le bon emplacement, tandis qu’Aurélien et Arnaud semblent insensibles aux conditions climatiques et montent leur tente assez rapidement. Alors que nous pensons avoir trouvé un lieu moins exposé, sous les arbres, et que nous harnachons solidement la tente à la plateforme à l’aide d’une corde, de fortes bourrasques viennent nous décoiffer. Les arbres semblent en fait créer un effet tunnel et, après quelques autres rafales, nous constatons qu’une partie de la tente a été arrachée et que les arceaux ont été tordus! Elle est tellement bien accrochée qu’elle a fini par plier littéralement… Nous devons nous résigner à déménager et Franck, aidé des amis qui ont déjà fini de s’installer, part planter la tente dans un emplacement de terre, tandis que je (Nadia) tente de recoudre les parties arrachées. Il nous faudra deux bonnes heures pour être installés, relativement à l’abri du vent. Décidément, cette journée n’est pas la plus facile du voyage! Le soir venu, un apéritif entre amis, suivi d’un bon repas, viennent nous redonner des forces et le sourire. Les grandes tablées de la salle à manger commune sont conviviales et l’ambiance est chaleureuse dans le chalet de bois du refuge. Alors que la nuit tombe, dévoilant les étoiles dans le ciel dégagé, le vent se calme peu à peu. Finalement, nous avons bien fait de ne pas monter au mirador Britanico: pour nous ce sera le trek du U, pas du W!

*Après 20h, urgences uniquement

Une réflexion sur “Le trek du W… ou presque!

  1. Cathychou dit :

    Et ben dis donc ! Chaque pays a son lot de problèmes et d’amabilités !
    Mais heureusement que vous êtes un groupe sympa pour passer outre !
    Superbes photos, ça va vous créer de sacrés souvenirs !

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