La Havane: voyager hors du temps

Après nos quelques jours de détente sur la côte Mexicaine, nous entamons la dernière semaine de notre tour du monde. Nos 9 mois de voyage se termineront à Cuba et nous passons la journée de lundi entre Tulum et Cancún afin d’être au plus près de l’aéroport pour le vol du mardi 18 juillet. Comme c’est l’anniversaire de Nadia et que nous disposons d’une nuit gratuite via le programme de fidélité du site Hotels.com, nous nous sommes octroyés une chambre spacieuse dans un établissement avec piscine! Il fait tellement chaud à Cancún que tous les voyageurs se retrouvent autour du bassin à la nuit tombée: pour la tranquillité, il faudra repasser! Épuisés par la chaleur et peu enthousiastes quant au manque d’intérêt de la ville, nous préférons nous coucher tôt, ce qui nous permettra de bien supporter le vol du lendemain. En effet, il n’y a qu’une heure de trajet, mais la chaleur est écrasante à l’arrivée. De plus, nous sommes complètement déboussolés: les repères occidentaux sont très peu présents, c’est encore plus dépaysant que tous les lieux visités jusqu’alors! L’aéroport, de style « bloc URSS », ne dispose que d’un distributeur de billets et d’un bureau de change. Une longue file de taxis jaunes, aux prix fixés par l’Etat, attend les visiteurs juste devant les portes de sortie. Mais déjà, nous nous faisons aborder par un conducteur qui nous propose une course à un tarif plus abordable: cet argent ira directement dans sa poche et nous comprendrons plus tard à quel point cela fait une différence. Sur la route, nous croisons un grand nombre de véhicules des années 50; les paysages sont ruraux, avec du travail manuel, comme au Népal. L’atmosphère est très lourde, malgré la proximité de l’océan, l’air semble figé, tout comme l’île, où le temps s’est arrêté.

Nous nous laissons déposer devant la maison d’hôtes que nous avons réservé dans la capitale: à La Havane, les hôtels sont rares et gérés par l’Etat, ce qui n’est malheureusement pas gage de qualité. Mieux vaut loger dans une casa particular pour bénéficier d’un bon confort et, surtout, découvrir l’envers du décor. Notre hôte, Graciela, nous accueille chaleureusement. Première bonne surprise: elle parle un français impeccable! En tant qu’ancienne hôtesse de l’air pour la compagnie nationale, elle maîtrise plusieurs langues, ce qui nous permet d’échanger sur la situation du pays (chose qui aurait été plus ardue en espagnol, soyons honnêtes!). Le second point positif est la découverte de notre logement, une chambre confortable avec salle de bain privative, dans une belle maison disposant d’une cours ombragée et ventilée, chose bien agréable pour échapper à la lourdeur de l’air. Après une installation rapide, nous profitons des quelques heures restantes pour visiter le quartier, en espérant savourer le coucher de soleil dans les ruelles de Habana Vieja, la vielle ville. Nous sommes un peu déçus de constater que, contrairement à ce qu’indiquait la réservation, nous sommes trop loin du centre pour nous y rendre à pied. A force de déambulations, nous parvenons en bord de mer, sur le site de ce qui devait être un complexe hôtelier il y a quelques dizaines d’années. Les piscines vides confèrent aux lieux une atmosphère vraiment particulière. Nous observons les locaux plongeant dans l’océan et pêchant, tandis que le ciel s’embrase sous l’effet du soleil couchant: l’un des plus beaux spectacles de notre voyage!

Le lendemain, après un savoureux petit déjeuner servi par notre hôte sur la terrasse (et une bataille acharnée contre les moustiques matinaux!), nous entreprenons de visiter la vieille ville. Nous n’avons qu’un jour complet sur place et nous comptons bien en profiter! Graciela nous donne des conseils pour négocier le taxi et nous rappelle les bases: toujours préciser la devise! Il faut savoir qu’il existe deux monnaies en circulation dans le pays: le peso cubano, utilisé par la population, et le CUC (peso cubain convertible), pour l’usage des touristes. Un CUC vaut 20 pesos cubano, et environ 1$US. Le salaire moyen, délivré par l’Etat, est de 20CUC par mois, la retraite, de la moitié. En donnant 1$US ou 1CUC de pourboire, on offre donc un pouvoir d’achat incroyable à une partie de la population, générant des inégalités entre les personnes travaillant au contact de touristes et les autres. Nous quittons la maison d’hôtes avec ces considérations en tête et tentons de prendre un taxi à l’endroit indiqué par Graciela, soit toute une rue! La population qui ne peut pas se permettre de payer un taxi national doit en effet arrêter des véhicules collectifs. Pour cela, il faut repérer les voitures des années 1950 (mais attention, pas celles qui ont l’air neuves!) et faire signe au chauffeur de stopper. Nous aurons besoin de 15 bonnes minutes pour dénicher un véhicule qui n’est pas plein et, à peine assis, nous oublions les recommandations de notre hôte et négocions un tarif en CUC sans nous en rendre compte! C’est toujours moins cher qu’un taxi jaune, mais le chauffeur a fait son mois grâce à nous!

La visite de la capitale de Cuba commence dans son cœur administratif. Quoi de mieux que de découvrir les bâtiments abritant les institutions gouvernementales pour plonger dans l’histoire du pays? La Plaza de la Revolución donne le ton: d’immenses portraits métalliques des deux héros du pays – le célèbre Ernesto Guevara ou le « Che » et Camillo Cienfuegos – ornent les façades du ministère de l’intérieur. Aucune ombre sur cette immense étendue de béton entourée d’édifices d’importances. Derrière le monumental mémorial José Martí (héro de l’Indépendance du pays), les institutions administratives sont étroitement surveillées. Bizarrement, il n’y a pas d’effigie de l’ancien président, Fidel Castro, ni de son frère Rahul, actuellement au pouvoir. Nous arrivons tout juste à l’heure d’ouverture de la grande tour du mémorial, ce qui nous permet de monter les premiers au sommet vis l’ascenseur central. Des vautours tournent, à plus de 100m d’altitude, autour des fenêtres derrière lesquelles nous prenons conscience de la superficie de la capitale: c’est bien plus grand et bétonné que nous ne l’imaginions! L’arrivée d’un bruyant groupe de touristes américains coupe court à nos rêveries et nous quittons les lieux à pied, en direction du Malecón. Cette grande artère longeant l’océan est idéale pour se rendre compte de la diversité architecturale de La Havane. Après avoir traversé de beaux quartiers où d’anciennes villas ont été admirablement conservées, puis emprunté d’étroites ruelles colorées en état de délabrement avancé, nous atteignons le bord de mer au niveau de l’hôpital, pas très esthétique à nos yeux. La balade se poursuit en plein soleil, à peine rafraîchis par la brise marine et nous découvrons le mélange de styles architecturaux si particulier à cette ville: de beaux immeubles art déco côtoient le béton brut, les bâtiments rénovés succèdent aux ruines envahies de végétation et la palette de couleur ajoute au plaisir des yeux.

Au bout du Malecón, le Canal de Entrada sépare Habana Vieja du Morro, une colline sur laquelle sont édifiées des fortifications. D’un côté et de l’autre du cours d’eau, il est possible de visiter les forts entre lesquels une chaîne était tendue pour fermer le port de La Havane la nuit venue. Nous projetons de visiter le Castillo del Morro, sur l’autre rive et d’assister à la cérémonie de fermeture de la chaîne, qui n’est aujourd’hui plus célébrée que par des tirs de canon symboliques à la tombée de la nuit. Mais pour l’heure, nous continuons la visite en descendant le Paseo de Martí, belle et grande artère bordée d’anciens hôtels de luxe. Il fait très chaud, nous sommes assoiffés et nous ne trouvons aucune boutique vendant des bouteilles d’eau! Il faut dire que nous n’avons que des CUC et que nous ne pouvons pas consommer dans les établissements locaux, qui fonctionnent avec des pesos cubanos. Aussi, nous nous arrêtons dans un bel hôtel pour nous rafraîchir en profitant de la terrasse ventilée et de la musique d’ambiance. Vue la note qui nous attend, nous restons quelques heures, histoire de rentabiliser notre pause et de récupérer complètement: la chaleur, ça épuise! L’après-midi est déjà bien entamé lorsque nous repartons, bien réhydratés, mais encore assommés, à la découverte de la vieille ville. A quelques pas seulement, le Capitolio nous rappelle étrangement un édifice connu… Le Capitole de Washington! Nous sommes étonnés de cette référence américaine, convaincus des relations difficiles entre Cuba et les Etats-Unis et il nous faut chercher dans notre guide une explication quant à l’histoire du pays.

Découverte par Christophe Colomb au XVè siècle, l’île est rapidement colonisée par l’Espagne. Après le triste, mais habituel épisode d’exploitation du territoire (plantations de café, de tabac et de sucre – bataille avec la France pour l’occupation des sols, traite massive d’esclaves…), le peuple cubain aspire à l’Indépendance. Quelques héros mènent le combat, mais ce sont les Etats-Unis qui permettent au pays de devenir une République en 1902. Les intérêts économiques sont évidents, mais profitent au développement de Cuba; c’est à cette époque que sont construits les plus beaux édifices de la ville, dont le fameux Capitolio. Vers la moitié du XXè siècle, Cuba devient le lieu de villégiature favori de la jet set américaine, fuyant la Prohibition. La mafia se développe alors et La Havane gagne une réputation de ville de non-droit, où alcool, drogue et prostitution se mélangent quotidiennement. C’est le régime de Castro, suite à la Révolution de 1959, qui mettra fin à ces pratiques d’une part et gèlera les relations avec les USA d’autre part. L’embargo qui s’ensuit, connu de tous, aura des conséquences dramatiques pour la population, qui perdra – dit-on – 30% de son poids sur la seconde moitié du XXè siècle! Nous comprenons mieux pourquoi les Chevrolet, Pontiac et autres véhicules de collection sont tellement présents: sans droit d’importer, le parc automobile n’a pas pu se renouveler et les garagistes cubains ont dû redoubler d’ingéniosité pour maintenir en état de fonctionnement des véhicules de plus de 60 ans! C’est d’ailleurs devant le Grand Théâtre de La Havane, situé à côté du Capitole, que se réunissent les loueurs de voitures restaurées.

Nous poursuivons notre chemin en nous enfonçant dans les ruelles de la vieille ville. De la Plaza del Cristo, nous rejoignons la Plaza Vieja, admirablement rénovée et très agréable avec ses arcades ombragées. Un tour à la Fototeca nous replonge dans les années fastes de Cuba: à part les vêtements des touristes, peu de choses ont changé ici depuis ces clichés pris dans les années 50… Malheureusement les musées les plus intéressants sont en travaux, mais cela ne nous empêche pas de prendre plaisir aux déambulations entre les maisons colorées. Après la Plaza San Francisco, puis la Plaza de la Cathedral, nous longeons le Castillo de la Real Fuerza, ancien fort abritant aujourd’hui la police cubaine, pour regagner le Nord de la ville. Il nous faut traverser le canal pour nous rendre au Castillo del Morro, la forteresse la plus impressionnante de la capitale, mais pas moyen de prendre un bus! Non seulement nous ne comprenons pas le fonctionnement de la numérotation et des arrêts, mais en plus ils sont bondés! Inimaginable pour nous de s’agglutiner dans un véhicule par 40°C à l’ombre, d’autant que ce moyen de transport est réputé comme très peu sûr pour les touristes. Nous démarchons donc quelques taxis, qui nous proposent des prix exorbitants, avant de nous rendre à l’évidence: pour traverser un pauvre souterrain de 300m de long, il nous faudra payer cher! Et comme nous n’avons changé que le strict minimum, il n’est pas question pour nous de gaspiller… Tant pis pour le Castillo, nous repartons en ville pour un déjeuner tardif dans une petite échoppe aux prix raisonnables, avant de prendre le chemin du retour vers la maison d’hôtes.

Graciela est étonnée de nous voir de retour si tôt, mais elle comprend vite notre épuisement, lié tant à la chaleur qu’aux difficiles négociations de taxi, même pour revenir! Nous terminons la journée en prenant une glace à quelques rues de notre logement et gagnons le point de vue repéré la veille pour le coucher de soleil. La nature nous offre un spectacle magnifique pour notre dernier soir de voyage. Demain, nous prendrons l’avion du retour, celui qui nous ramène à la réalité et à notre confort quotidien. Ce coucher de soleil, à Cuba, sur les ruines bétonnées d’un hôtel bordant l’océan, prend alors une saveur toute particulière… L’astre rouge vif qui s’enfonce tellement vite dans l’immensité bleue nous fait réaliser la fugacité de notre expérience autour du monde. Comme un rêve diffus, les souvenirs des premiers mois remontent: ce coucher de soleil, entre les sommets népalais, et celui, magique, admiré depuis les dunes du Désert du Thar… Cette fois, aussi, où nous avons foncé en scooter d’un bout à l’autre de l’Île de Pâques pour saisir le moment où le disque orange passerait derrière les Moais… Tout à coup, c’est terminé. Le soleil a disparu, comme dévoré par l’océan: il est temps de rentrer. Mais bientôt, le jour reviendra et nous poursuivrons nos rêves d’aventure même après ce magnifique voyage.

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